lundi 19 avril 2010

Je ne suis pas rimbaldien...

Je ne suis pas rimbaldien et encore moins spécialiste, juste libraire.

Mais j'ai eu le privilège de passer deux ans et demi en compagnie de cette photographie d'Arthur Rimbaud adulte, de partager l'intimité de ce visage pendant des dizaines d'heures, de croiser ce regard des milliers de fois, pendant tout le temps qu'a duré cette recherche.

Je ne vais pas revenir sur certaines âneries prévisibles qui parsèment blogs ou messages (sur ces points, une fois de plus, d'abord lire l'article d'Histoires littéraires et réviser les biographies de Rimbaud !), ni sur les bourdes d'éminents rimbaldiens, sans doute en proie à l'émotion ("Rimbaud n'a pas pu passer à l'Hôtel de l'Univers en 1880", "Il n'y avait qu'un hôtel à Steamer Point", etc.).

Seule me choque profondément l'affirmation selon laquelle cette photo briserait le mythe. Certains même, ne craignant pas le ridicule, affirment que nous n'aurions pas dû rendre cette image publique, qu'elle est forcément fausse puisqu'elle ne correspond pas à ce qu'ils ont envie de croire, etc.

Rimbaud était une icône, il devient ici un homme, dit-on. Un homme quelconque, qui n'a pas l'air très sympa, "crapule coloniale" parmi d'autres (Gérard Lefort, on se souvient de vous moins bête !). Eh quoi, le poète le plus célèbre du monde aurait-il été un homme, comme vous et moi les lambdas, comme le Christ même, à ce que l'on dit ? Peut-être même allait-il à la selle, comme tout le monde ? Oh stupeur !!!

A ma connaissance, aucun spécialiste de Rimbaud n'a émis de tel propos, et j'ai été surpris de voir que la grande majorité des connaisseurs (dont les membres de l'association des Amis de Rimbaud) intégraient ce portrait nouveau, qui est assez dérangeant, sans réticence. De fait, les rimbaldiens connaissent "intimement" Rimbaud, savent qui il était dans la deuxième partie de sa vie, et cette photographie ne vient qu'illustrer, donner corps, à ce que l'on savait ou pressentait déjà.

Comme l'ont relevé beaucoup d'anonymes, cette image est profondément émouvante. La plupart des visiteurs du salon du livre ancien au Grand palais ont été très touchés en la voyant. Plusieurs fois, certains ont évoqué Jacques Brel et Patrick Dewaere : pas pour une ressemblance physique, mais parce que cet homme apparaît terriblement intense autant que fragile, écorché qui brûle sa vie sans délai. Et seul.



Lorsque je me trouve face à l'image scannée en haute définition, face à cet oeil translucide à la pupille effrayée, qui vous fixe et semble venir ou partir de l'au-delà, il me semble -malgré moi- reconnaître le faux Rimbaud, l'icône de l'adolescent poète bâtie par Carjat. Le génie révolté de 17 ans et le contremaitre d'Aden sont le même homme, et ce visage, cet homme, cette vie, cette oeuvre, n'en sont que plus sidérants.

Jacques Desse

PS : ce billet n'engage que son auteur.

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